Voici ma participation ! (trop long, je sais...) La version sur le Forum d'Alidhan a été corrigée et surlignée.
L’abbé Pandémis était seul dans son austère cellule. Les genoux humblement ployés, la tête penchée, il s’adonnait comme depuis bientôt 50 ans, à cet exercice quotidien et rassurant qu’était la prière. Face à lui se dressaient les statuettes familières des principales divinités des terres d’Alidhan : le Guerrier, le préféré des combattants ; la Patience, la divinité la plus prisée par les mères... ; Allopass, le dieu onéreux ; Myarcane, le dieu mystérieux des Mages...
Tous ils se trouvaient là et ses prières montaient vers eux, eux tous, même vers les dieux mineurs aux noms variables selon les régions, tous... C’était le vœu de son ordre monastique.
Et pourtant, le cœur n’y était plus : seule la vieille habitude l’avait prise à cette heure tardive, plus la ferveur...
Car Pandémis doutait... et il avait de bonnes raisons pour cela !
Depuis plusieurs années déjà, la guerre rongeait son pays. D’aucuns voyaient dans ces troubles une guerre entre les divinités d’Alidhan et les « miracles » quotidiens que cette guerre entretenait pouvait complaire à certains : les combattants des 3 camps revenaient à la vie, n’était ce pas là une preuve de l’implication des dieux dans les affaires des hommes ? De puissants guerriers, d’invincibles mages ou de furieux archers développaient des compétences insoupçonnables, dévastatrices... « Dons des dieux ! » clamaient alors les plus fidèles des fidèles !
Même les placides moines se faisaient chiens de guerre...
Tout cela avait été bénéfique à l’Ordre du Panthéon auquel appartenait Pandémis. Lui même s’était laissé allé à une certaine euphorie aux débuts de la sinistre guerre civile : les troubles étaient propices à un retour de la foi...
Quelle honte aujourd’hui d’avoir pu penser cela ! Pandémis se mortifiait de la souffrance des humbles... et surtout, il se posait de nombreuses questions au sujet des Dieux : pourquoi avaient ils offert la Résurrection des combattants aux 3 belligérants ? Qu’avaient promis Kaldrass, Zelandra et Galoregor pour obtenir cela ? Quel pacte monstrueux avait été scellé, quelle sinistre Puissance avait été réveillée pour obliger ainsi le Fossoyeur, le serviteur des Dieux, à rendre ses prises... ?
Le doute, si salutaire à tout croyant, n’avait fait que croître en son for intérieur et Pandémis avait cherché des réponses pour faire taire cette voix si inquiétante.
Une réponse était arrivée la veille... elle n’avait fait que renforcer l’incertitude. L’abbé Pandémis avait en effet rencontré le Baron Pifou de la Guildeularoût, une guilde cartelloise acquise à Zelandra. La conversation avait été polie et courtoise : le jeune Baron avait répondu à son invitation avec bienveillance, mais comme le craignait Pandémis, il n’avait aucun souvenir de ce qui lui était arrivé un mois plus tôt... Il n’avait pu qu’authentifier le document écrit que possédait Pandémis, une lettre écrite sur du mauvais parchemin, à la va-vite... Il avait cependant nié tout ce que renfermait comme preuve cette missive : il ne se souvenait pas avoir écrit cela...
Alors pourquoi douter ? Parce que la jeune Zélia avait reconnu ce baron à la mémoire effacée...
Elle était arrivée un mois plus tôt au monastère de l’Ordre du Panthéon, frigorifiée, affamée, les vêtements usés tâchés d’un sang qui n’était pas le sien... Combien de ces malheureux s’étaient présentés aux lourdes portes en chêne du Monastère depuis bientôt 9 ans que la guerre civile avait commencée ? Mais Zélia était différente sur un point : son regard n’était pas vide ou apeuré... Elle avait la tête haute et le regard noir lorsqu’elle demanda à voir l’Abbé en personne.
Devant tant de détermination, les Frères s’étaient exécutés. Pandémis rencontra la jeune femme et son monde vacilla.
Elle était la seule survivante d’un massacre survenu deux jours plus tôt dans une ferme fortifiée d’une vallée non loin de la ville de Mérulik. De la trentaine d’occupants, elle seule s’était échappée du brasier...
Mais elle affirmait que ce n’était aucun des 3 camps qui était à l’origine du massacre, ni même des brigands... pas même des Alidhanais en fait !
Après s’être restaurée et avoir raconté cela à l’Abbé, elle lui confia le pli de Pifou. Pandémis le connaissait désormais par cœur...
« Kerel, cher bras droit... Les dieux nous ont abandonné ! S’ils ont jamais existé ! Je suis arrivé il y a quelques heures déjà dans cette ferme et je n’en reviens toujours pas de ce que j’ai vu et vécu... je suis mort, comme bien des fois auparavant : et comme à chaque fois, je m’attendais à me réveiller dans une sombre crypte... mais là, s’il faisait sombre, j’étais nu comme un vers, trempé des pieds à la tête... des voies me parvenaient dans le brouillard de mes pensées, mais seul comptait à cet instant la sensation de froid.
Puis vint le silence et la clarté des pensées : combien de temps cela me prit il ? aucune idée, mais je parvins à me redresser. Dans la pénombre, je distinguais d’immenses fûts emplis de liquide, éclairés par une douce lueur verdâtre... des corps baignaient dans ce liquide, le visage recouvert d’un masque ! Chancelant, je m’approchais... pour reconnaître mes traits sur le plus proche corps qui flottait au milieu de fines bulles ! Ce corps était le mien ! Et dans la cuve d’à côté, quelle surprise : encore moi ! Il y avait six de ces cuves, et une seule était vide...
Les poils hérissés tant par le froid que par l’horrible surprise, je réagis instinctivement lorsque la porte s’ouvrit : je me cachais derrière l’huis entrouverte. Deux hommes venaient de pénétrer dans la pièce, éclairant la scène d’une lumière vive et crue qui me vrilla un instant les méninges... Sans plus réfléchir, je leur sautait dessus, m’apercevant au dernier instant que le fardeau qu’ils portaient en silence était encore un corps. Surpris, ils n’opposèrent aucune résistance, s’effondrant silencieusement sous mes coups.
Là encore, je fut frappé d’horreur : c’était mon propre cadavre que traînaient ces deux hommes aux vêtements insolites... Pris d’effroi, je cois avoir paniqué : sans m’attarder plus longuement, je pris mes jambes à mon coup ! La suite n’est qu’une longue course dans d’innombrables couloirs ou de nombreuses portes se succédaient, sans qu’aucune daigne s’ouvrir sur autre chose que des corps dans des cuves... Chacune portait des signes inconnus... Mais je reconnus les corps de frères d’armes comme d’ennemis... Je crois avoir hurlé à un moment donné...
La panique cédant face à l’esprit pratique, j’eus alors l’idée de forcer une sorte de grille métallique : il y en avait tout le long des couloirs, à intervalles réguliers. Je m’enfonçais donc dans ce boyau de métal, sentant l’air frais sur mon corps nu.
Après un temps qui me sembla infini et plusieurs pauses dans des positions inconfortables, je parvins enfin à grimper par un boyau vertical jusqu’à la surface : mes doutes se confirmaient, l’absence de fenêtre signifiait bien que cette forteresse était sous terre. Le conduit était plus large et se terminait par une sorte de moulin à vent, aux bras horizontaux et immobiles... La grille qui fermait le conduit fut plus longue à desceller, mais à force de détermination je sortis à l’air libre, je sortis de l’enfer... par un tronc d’arbre mort qui dissimulait la grille.
Egaré, hébétés, j’ai alors couru dans la nuit noire sans bien savoir où je me rendais. Je me suis caché sous les frondaisons des arbres lorsque j’ai entendu la sirène retentir sous mes pieds : j’ai ainsi pu observer les mêmes hommes que j’avais assommés sortir de terre : rapidement, plusieurs dizaine d’entre eux montèrent dans des machines infernales que crachait le sol... et dans un silence inouï, ils décolèrent !
Quelques minutes plus tard, je frappais à la porte d’une ferme fortifiée. Je connaissais cette bâtisse : je n’étais donc pas loin de Mérulik et de son cimetière...
L’accueil fut amical malgré l’heure incongrue et l’on m’ouvrit lorsque je déclinais mon identité : ces gens devaient être favorables au Cartel. Je fus nourri et habillé de propre et lorsque je demandais de quoi rédiger une lettre, ce fut une jeune fille qui m’apporta l’encre et le vélin réservé au comptable du complexe agricole.
Elle est d’ailleurs encore à mes côtés pendant que je rédige ma missive : mon cher Kerel, je ne sais plus quoi penser... j’ai besoin d’équipement, mais aussi de conseils... fais ce que je te demande, s’il te plaît... »
La lettre semblait inachevée... Mais Zélia avait complété l’histoire : elle était restée debout toute la nuit auprès du Baron et l’avait regardé écrire fébrilement son message.
Mais au petit matin, des bruits avaient interrompu cette rédaction : des cris en provenance de la cour intérieure. Par la fenêtre, Pifou avait vu des hommes massacrer les quelques défenseurs mal réveillés : des traits de lumière partaient de leurs bras, transperçant les corps des malheureux fermiers et ouvriers agricoles...
Sans réfléchir, Pifou confia la missive à Zélia. Ils sautèrent d’une fenêtre qui donnait sur les champs. Zélia courut jusque sous les arbres sans se retourner et ce n’est que lorsqu’elle fut arrivée à la lisière de la forêt, qu’elle vit Pifou tomber sous les coups de rayons lumineux des hommes aux vêtements si étranges. Elle grimpa dans le premier arbre venu et s’effondra en pleurs...
Quelques instants après, le corps de Pifou fut hissé dans une machine en forme d’œuf qui venait de se poser dans le champ. Puis elle décolla et un rayon d’une chaleur immense irradia la bâtisse qui s’enflamma aussitôt ! Malgré son effroi, Zélia jure qu’elle vit également cette machine se troubler puis devenir invisible à son regard...
Plus Pandémis pensait à ce récit, plus ses doutes se renforçaient... Cette histoire... rien ne concordait avec ses croyances... ces hommes étranges, aux pouvoirs si grands : pouvaient ils être des serviteurs des Dieux ? Pourquoi ce massacre ? Pourquoi seul Pifou était revenu des morts, la mémoire tronquée ?
Pandémis avait fait ce qu’il pensait nécessaire : il avait averti le supérieur de son ordre, Obertis. Il s’était également ouvert de ses doutes auprès de ses Frères : malgré le respect que tous lui portaient, peu avaient émis le moindre propos qui prouverait qu’ils l’avaient au moins cru...
Il regarda mécaniquement les statuettes des divinités : que faire de ce Panthéon s’il s’avérait faux ? Que faire de son ordre s’il fallait abandonner ces Dieux ?
Un souffle glacé empli alors la pièce aux meubles austères. Assis sur sa paillasse, un homme vêtu entièrement de noir le regardait, un sourire mesquin plaqué sur ses lèvres fines. Ses yeux étaient cachés par deux cercles noirs, en verre jugea aussitôt futilement Pandémis... Il tenait un petit boîtier à la main, dont il avait déjà actionné le mécanisme : l’Abbé s’aperçut avec effroi qu’il ne pouvait ni bouger, ni prononcer un mot !
- Mon cher ami, dit l’homme d’une voix doucereuse et pourtant emprunte de maléfice. Si vous saviez comme je déteste votre monde et votre engeance ! Je déteste tout chez vous... et vous m’obligez pourtant à intervenir ! A me souiller à votre contact ! »
Il soupira avant de reprendre :
- Vous savez, on m’a donné des consignes : je devais intervenir simplement, faire une apparition et vous induire en erreur, vous faire croire que vos Dieux s’étaient manifester... Mais je suis las de ce jeu stupide ! J’ai plus simple : la fille est déjà morte et vous allez la suivre... tout comme Obertis est mort ce matin même...
Malgré son immobilisme forcé, Pandémis ne put s’empêcher de tressaillir...
- Oui, c’est plus simple ainsi... Mais je ne résiste pas à vous en dire plus... Oui, vos Dieux vous ont bien abandonnés, comme vous l’avez signifié à votre défunt supérieur ! NOUS sommes ces Dieux ! Depuis des siècles la Corporation Interstellaire veille au développement de ce planétoïde putride où je suis affecté ! Mais depuis quelques décennies, un nouveau projet est né : vous avez développés... des « capacités », dirons nous... Et pour avoir ces dons psychiques, certains hommes très riches du consortium ont besoins... de vos corps ! Voilà pourquoi nous ressuscitons vos combattants ! les combats divertissent les holos-touristes et la « viande » des carcasses de guerriers se vend très chère aux amateurs de greffes psychiques...
Pandémis ne comprenait pas tout de ce qui lui était si froidement révélé : il n’avait finalement saisi qu’une chose, que sa mort était proche... mais à quel Dieu se vouer si ce que cet homme prétendait était vrai ?
- Et il a fallu que ces imbéciles de thanatopracteurs laissent s’éveiller un corps après le transfert de pensée... Quelle bourde ! En plus, ce crétin, à peine sur pattes, parvient à filer, m’obligeant à sortir au grand jour les troupes de sécurité ! Mais bon : au moins on s’est bien amusé dans cette ferme... Je me demande ce que vous comprenez de ce que je vous dis mon cher... ce que vous dis le traducteur instantané doit vous être du charabia... Mais bon... à qui se confesser si ce n’est à un prêtre ?
L’homme sembla content de lui même et de son humour, car il commença à rire sans retenue.
- Breeeeeeeef... Abrégeons avant que je ne m’ennuie de trop : vous allez mourir et NOUS ne vous ramènerons pas à la vie... Mais partez le cœur léger : vos Dieux ne vous ont pas abandonné ; ils n’ont tout simplement jamais existé ! »
Une lumière vive... plus un bruit... Les Dieux ne sont donc pas cruels se dit Pandémis : ils ne sont pas, tout simplment. Bizarrement, cette dernière pensée, ce dernier échange chimique au sein de ses cellules grises, réconforta le vieil homme...
Eraktis se releva et contempla le cadavre de l’Abbé. Il en avait assez de cette affectation ! Ce rôle de porteur de mort sur ce monde archaïque lui pesait de plus en plus ! Plus que quelques mois et il retournerait dans les systèmes spatiaux centraux. Au diable Alidhan et cette comédie ! Il rangea son laser, activa sa combinaison d’invisibilité et sortit d’un pas lourd...
A vous !
Il y a des prix à la clé, mais c'est aussi TRES sympa de voir le jeu comme cela !
Pifou